Adam TOOZE. Le Salaire de la destruction. Formation et ruine de l’économie nazie
Paris, Les Belles Lettres, 2012, 812 p.
dimanche 3 mars 2013, par Laurent Gayme
Diplômé de King’s College et de la London School of Economics, Adam Tooze enseigne l’histoire de l’Allemagne à l’Université de Yale. Il a déjà publié Statistics and the German State, 1900-1945 : The Making of Modern Economic Knowledge, Cambridge, Cambridge University Press, 2001. Cet ouvrage est la traduction de son livre The Wages of Destruction : The Making and Breaking of the Nazi Economy, London, Allen Lane, 2006, récompensé la même année par le Wolfson History Prize et en 2007 par le Longman-History Today Book of the Year Prize.
Remettre l’histoire économique au centre
Il faut saluer cette traduction, que nous proposent Les Belles Lettres, d’un livre majeur. Le lecteur français a pu lire, ces dernières années, de nombreux ouvrages novateurs sur l’Allemagne nazie, qu’il s’agisse de ceux de Ian Kershaw, de Robert Gellatelly, de Mark Mazower, de Christian Ingrao ou de Johann Chapoutot (qui fait le point sur les dernières recherches sur le nazisme dans Le nazisme, une idéologie en actes, collection Documentation photographique n°8085, Paris, La Documentation française, 2012). Parmi toutes ces parutions, peu étaient consacrées aux questions économiques, sauf l’ouvrage de Götz Aly (Comment Hitler a acheté les Allemands, Paris, Flammarion, 2005). Adam Tooze le souligne d’ailleurs, notant que l’histoire économique du nazisme a peu progressé ces vingt dernières années, à la différence de celles des rouages du régime, de la société et des politiques raciales par exemple. C’est pourquoi il se donne pour ambition « d’amorcer un processus de rattrapage intellectuel qui n’a que trop tardé » (p. 19), en nous livrant, sous l’égide de Marx, une imposante histoire économique de l’Allemagne nazie : « Le premier objectif de ce livre est donc de remettre l’économie au centre de notre intelligence du régime hitlérien... » (p. 20). Il se propose de le faire en rompant avec un postulat du XXe siècle, celui d’une supériorité économique particulière de l’Allemagne (encore présent dans les esprits de nos jours...), mythe détruit par les derniers travaux d’historiens de l’économie pour qui le fait économique majeur du XXe siècle est l’éclipse de l’Europe par de nouvelles puissances économiques, surtout les États-Unis. Dans les années 1930, l’Allemagne de Krupp, Siemens et IG Farben a un revenu national par tête dans la moyenne européenne (c’est-à-dire comparable en termes actuels à ceux de l’Iran ou l’Afrique du Sud), un niveau de consommation plus modeste que celui de ses voisins occidentaux, et « une société partiellement modernisée où plus de quinze millions d’habitants vivaient de l’artisanat traditionnel ou de l’agriculture paysanne. » (p. 21).
L’ennemi américain
La thèse centrale d’Adam Tooze s’appuie moins sur l’antiblchévique Mein Kampf (1924) que sur un manuscrit de Hitler connu sous le nom de « Second Livre », achevé pendant l’été 1928 et reprenant des discours de la campagne des législatives en Bavière en mai 1928, où se présentait Gustav Stresemann, ministre des Affaires étrangères de la République de Weimar. Convaincu que les États-Unis allaient devenir la force dominante de l’économie mondiale et un contrepoids de la Grande-Bretagne et de la France, Stresemann avait choisi, après la défaite de 1918, l’alliance financière américaine et l’intégration économique dans l’Europe capitaliste (les choix d’Adenauer après 1945), afin de gagner un marché assez vaste pour égaler les États-Unis. Pour Hitler, le moteur est la lutte pour des moyens de subsistance limités, autrement dit la colonisation d’un « espace vital » à l’Est, pour concurrencer la puissance des États-Unis dont l’hégémonie menacerait la survie économique de l’Europe et la survie raciale de l’Allemagne, es Juifs régnant tout autant à Washington qu’à Londres et Moscou. Hitler refuse « l’américanisation », l’adoption des modes de vie et de production des États-Unis car, derrière le libéralisme, le capitalisme et la démocratie se cache la « juiverie mondiale ».
Construire un complexe militaro-industriel
En somme, Hitler répond à une situation du XXe siècle par une solution du XIXe siècle. L’impérialisme, conjugué avec son idéologie antisémite, doit faire de l’Allemagne une puissance continentale capable de rivaliser avec l’Empire britannique mais surtout avec l’immense territoire des États-Unis. Dans ce but, Hitler organise à partir de 1933 le plus extraordinaire effort de redistribution jamais réalisé par un État capitaliste, puisque la part du produit national destinée à l’armée passe de moins de 1% à près de 20% en 1938, en même temps que la production industrielle augmente fortement, tout comme la consommation et l’investissement civil (6 millions de chômeurs étant mis au travail). Tout est sacrifié au réarmement et à la constitution de ce complexe militaro-industriel, particulièrement les intérêts des industries de biens de consommation et des paysans, d’où des mesures de rationnement des matières premières essentielles à partir de 1935 et plus tard le pillage de l’Europe. Cet effort supposait une forte organisation interne du régime et une très forte intervention de l’État dans l’économie, qui est acceptée par le grand capital allemand, affaibli par la crise de 1929, parce qu’elle était sélective, exploitant souvent l’initiative privée, et assurait des profits importants tout en maintenant l’ordre social et en écrasant la gauche et les syndicats. Enfin la conquête d’un Lebensraum à l’Est (avec le Generalplan Ost de rationalisation et de réorganisation agraire et le Plan de la faim de 1941 qui prévoyait de piller les ressources alimentaires d’une dizaine de millions de Polonais, de Russes et d’Ukrainiens) et la politique génocidaire, nées de l’idéologie raciale et antisémite, trouvaient leur justification économique au service de la puissance.
L’économie nazie et la Seconde Guerre mondiale
Pourtant Adam Tooze montre bien que la diplomatie, la planification militaire et la mobilisation économique ne se conjuguèrent pas en un plan de guerre cohérent et préparé à long terme. En septembre 1939, l’Allemagne se lance dans la guerre sans une forte supériorité matérielle ou technique sur la France, la Grande-Bretagne ou, en 1941, sur l’URSS. Avec une économie contrainte par les problèmes de la balance des paiements (impossible d’emprunter à la Grande-Bretagne et aux États-Unis ni de commercer avec eux) et sous contrôle administratif permanent, Hitler joue sans cesse contre la montre. En 1939, l’Allemagne ne peut plus accélérer son effort d’armement, quand la Grande-Bretagne, la France et l’URSS accélèrent leur réarmement. En outre, si en 1936 Hitler insiste encore sur le complot judéo-bolchévique, à partir de 1938 l’antisémitisme nazi opère un tournant antioccidental et particulièrement antiaméricain qui permet de mieux comprendre le Pacte germano-soviétique, qui de plus protégeait l’Allemagne contre un second front et contre les pires effets du blocus anglo-français. Outre les considérations idéologiques, face à l’ampleur de l’effort de guerre anglo-américain dès l’été 1940, les ressources économiques (céréales, pétrole) de l’URSS devenaient vitales pour la survie de l’Allemagne. Mais il fallait en même temps préparer l’invasion de l’URSS et répondre à la course aux armements transatlantique, ce qui nécessitait une victoire rapide contre l’Armée rouge, tout en conduisant les programmes SS de nettoyage ethnique génocidaire dans le cadre du Generalplan Ost.
Début 1942, les forces économiques et militaires mobilisées contre le IIIe Reich sont écrasantes. Mais le cœur du pouvoir politique nazi (le Gauleiter Sauckel, Herbert Backe l’orchestrateur du Plan de la faim, Göring, Himmler et Albert Speer) se lance alors dans un immense effort de mobilisation de toutes les ressources humaines (y compris la main d’oeuvre juive des camps), alimentaires et économiques (en pillant toute l’Europe) au service de la guerre et du « miracle des armements » de Speer. S’il y eu bien en 1944 une dernière accélération de la production allemande d’armements, ce fut au prix de la destruction d’une grande partie de l’Europe et de ses populations, et de l’Allemagne. Ainsi, en 1946, le PIB allemand par tête dépasse juste 2 200 dollars (niveau plus vu depuis les années 1880) et, dans les villes rasées, les rations alimentaires sont souvent inférieures à 1 000 calories par jour.
Un ouvrage majeur
On l’aura compris, on ne peut rendre compte ici de toute la richesse de cette fresque passionnante et tout à fait lisible par des non spécialistes d’histoire économique. Adam Tooze remet en cause bien des idées reçues sur les succès industriels du IIIe Reich et sur les motivations et les décisions nazies pendant la guerre, sans jamais sous-estimer l’importance des présupposés idéologiques nazis. Il nous propose une relecture brillante de la première moitié du XXe siècle, à la lumière des choix économiques opérés pour répondre aux bouleversements des équilibres économiques mondiaux, et nous offre un captivant plaidoyer pour l’histoire économique. Inutile de dire que, pour les professeurs d’Histoire de collège comme de lycée, c’est une lecture indispensable et particulièrement enrichissante, notamment en lycée pour les chapitres sur la croissance économique et la mondialisation, les totalitarismes et la guerre totale.
Source: La Cliothèque
http://clio-cr.clionautes.org/le-salaire-de-la-destruction-formation-et-ruine-de-l-economie-nazie.html
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Tuesday, February 2, 2016
Friday, August 7, 2015
Five myths about the atomic bomb
Gregg Herken is an emeritus professor of U.S. diplomatic history at the University of California and the author of “The Winning Weapon: The Atomic Bomb in the Cold War” and “Brotherhood of the Bomb: The Tangled Lives and Loyalties of Robert Oppenheimer, Ernest Lawrence, and Edward Teller.” As a Smithsonian curator in 1995, he participated in early planning for the National Air and Space Museum’s Enola Gay exhibit.
On Aug. 6, 1945, the United States dropped an atomic bomb on the Japanese city of Hiroshima. Another bomb fell Aug. 9 on Nagasaki. Decades later, controversy and misinformation still surround the decision to use nuclear weapons during World War II. The 70th anniversary of the event presents an opportunity to set the record straight on five widely held myths about the bomb.
1. The bomb ended the war.
The notion that the atomic bombs caused the Japanese surrender on Aug. 15, 1945, has been, for many Americans and virtually all U.S. history textbooks, the default understanding of how and why the war ended. But minutes of the meetings of the Japanese government reveal a more complex story. The latest and best scholarship on the surrender, based on Japanese records, concludes that the Soviet Union’s unexpected entry into the war against Japan on Aug. 8 was probably an even greater shock to Tokyo than the atomic bombing of Hiroshima two days earlier. Until then, the Japanese had been hoping that the Russians — who had previously signed a nonaggression pact with Japan — might be intermediaries in negotiating an end to the war . As historian Tsuyoshi Hasegawa writes in his book “Racing the Enemy,” “Indeed, Soviet attack, not the Hiroshima bomb, convinced political leaders to end the war.” The two events together — plus the dropping of the second atomic bomb on Aug. 9 — were decisive in making the case for surrender.
2. The bomb saved half a million American lives.
In his postwar memoirs, former president Harry Truman recalled how military leaders had told him that a half-million Americans might be killed in an invasion of Japan. This figure has become canonical among those seeking to justify the bombing. But it is not supported by military estimates of the time. As Stanford historian Barton Bernstein has noted, the U.S. Joint War Plans Committee predicted in mid-June 1945 that the invasion of Japan, set to begin Nov. 1, would result in 193,000 U.S. casualties, including 40,000 deaths.
But, as Truman also observed after the war, if he had not used the atomic bomb when it was ready and GIs had died on the invasion beaches, he would have faced the righteous wrath of the American people.
3. The only alternative to the bomb was an invasion of Japan.
The decision to use nuclear weapons is usually presented as either/or: either drop the bomb or land on the beaches. But beyond simply continuing the conventional bombing and naval blockade of Japan, there were two other options recognized at the time.
The first was a demonstration of the atomic bomb prior to or instead of its military use: exploding the bomb on an uninhabited island or in the desert, in front of invited observers from Japan and other countries; or using it to blow the top off Mount Fuji, outside Tokyo. The demonstration option was rejected for practical reasons. There were only two bombs available in August 1945, and the demonstration bomb might turn out to be a dud.
The second alternative was accepting a conditional surrender by Japan. The United States knew from intercepted communications that the Japanese were most concerned that Emperor Hirohito not be treated as a war criminal. The “emperor clause” was the final obstacle to Japan’s capitulation. (President Franklin Roosevelt had insisted upon unconditional surrender, and Truman reiterated that demand after Roosevelt’s death in mid-April 1945.)
Although the United States ultimately got Japan’s unconditional surrender, the emperor clause was, in effect, granted after the fact. “I have no desire whatever to debase [Hirohito] in the eyes of his own people,” Gen. Douglas MacArthur, supreme commander of the Allied powers in Japan after the war, assured Tokyo’s diplomats following the surrender.
4. The Japanese were warned before the bomb was dropped.
The United States had dropped leaflets over many Japanese cities, urging civilians to flee, before hitting them with conventional bombs. After the Potsdam Declaration of July 26, 1945, which called on the Japanese to surrender, leaflets warned of “prompt and utter destruction” unless Japan heeded that order. In a radio address, Truman also told of a coming “rain of ruin from the air, the like of which has never been seen on this Earth.” These actions have led many to believe that civilians were meaningfully warned of the pending nuclear attack. Indeed, a common refrain in letters to the editor and debates about the bomb is: “The Japanese were warned.”
But there was never any specific warning to the cities that had been chosen as targets for the atomic bomb prior to the weapon’s first use. The omission was deliberate: The United States feared that the Japanese, being forewarned, would shoot down the planes carrying the bombs. And since Japanese cities were already being destroyed by incendiary and high-explosive bombs on a regular basis — nearly 100,000 people were killed the previous March in the firebombing of Tokyo — there was no reason to believe that either the Potsdam Declaration or Truman’s speech would receive special notice.
5. The bomb was timed to gain a diplomatic advantage over Russia and proved a “master card” in early Cold War politics.
This claim has been a staple of revisionist historiography, which argues that U.S. policymakers hoped the bomb might end the war against Japan before the Soviet entry into the conflict gave the Russians a significant role in a postwar peace settlement. Using the bomb would also impress the Russians with the power of the new weapon, which the United States had alone.
In reality, military planning, not diplomatic advantage, dictated the timing of the atomic attacks. The bombs were ordered to be dropped “as soon as made ready.”
Postwar political considerations did affect the choice of targets for the atomic bombs. Secretary of War Henry Stimson ordered that the historically and culturally significant city of Kyoto be stricken from the target list. (Stimson was personally familiar with Kyoto; he and his wife had spent part of their honeymoon there.) Truman agreed, according to Stimson, on the grounds that “the bitterness which would be caused by such a wanton act might make it impossible during the long postwar period to reconcile the Japanese to us in that area rather than to the Russians.”
Like Stimson, Truman’s secretary of state, James Byrnes, hoped that the bomb might prove to be a “master card” in subsequent diplomatic dealings with the Soviet Union — but both were disappointed. In September 1945, Byrnes returned from the first postwar meeting of foreign ministers, in London, lamenting that the Russians were “stubborn, obstinate, and they don’t scare.”
Source: The Washington Post
https://www.washingtonpost.com/opinions/five-myths-about-the-atomic-bomb/2015/07/31/32dbc15c-3620-11e5-b673-1df005a0fb28_story.html
Thursday, August 6, 2015
"Les Soviétiques face à la Shoah": une exposition sans précédent
Le Mémorial de la Shoah présente actuellement une exposition qui devrait faire date. En effet, sous l'impulsion de plusieurs historiens, dont Alexandre Sumpf, membre junior de l'IUF et spécialiste de l'histoire de la Russie (et de l'URSS, ainsi que de l'Europe centrale et orientale) et du cinéma soviétique, il nous est donné cette année la possibilité de repenser notre représentation de la Solution finale dans ses diverses modalités.
(Rappelons que le Mémorial de la Shoah est un endroit exceptionnel, atypique. Né pendant la guerre dans la clandestinité afin d'établir un premier fonds d'archives, s'étant toujours tenu à bonne et prudente distance de l'Etat et des instances religieuses, au risque de faire de sa singularité une solitude, détenteur de documents sur le rôle du régime de Vichy dans l'extermination des Juifs qu'il ne pouvait dévoiler sans risque tant que la France ne reconnaissait pas publiquement sa responsabilité nationale et étatique dans le génocide, il est devenu un lieu plus qu'actif après la montée du révisionnisme et du négationnisme dans les années 90. Et l'exposition qui l'habite cette année est un événement.)
Intitulé "Filmer la guerre - Les Soviétiques face à la Shoah (1941-1946)" et se tenant depuis janvier jusqu'au dimanche 27 septembre 2015, ce parcours filmique et réflexif permet d'aller au-delà des images, fixes ou animées, qui nous permettent, dans le noir et le blanc d'une abomination censée lointaine, d'appréhender l'ampleur du génocide dans son quotidien. L'horreur a été filmée, par les bourreaux, mais aussi par ceux qui les ont vaincus. Et chacun eut, lors de cet acte "documentaire", des motivations politiques et historiques qu'il convient d'interroger. Les Soviétiques ont beaucoup filmé la grande guerre, et beaucoup filmé aussi les camps, qu'ils ont "libérés" – intervenant parfois au en pleine opération 1005 (opération nazie visant à effacer les traces de la solution finale). Ce qu'ils ont filmé, ils l'ont montré au monde, et très tôt. Au temps pour le fort peu cocasse "nous ne savions pas"…
Certaines séquences sont connues, d'autres moins, quelques-unes montrées au Mémorial sont inédites, et insoutenables, écartées des montages finaux mais sauvegardées dans diverses archives. Et c'est là tout le travail de Sumpf et de son équipe: trier, expliquer, commenter, mettre en perspective. Que voit-on de la Shoah? Qu'a-t-on montré? A qui? Quand? Qui a vu? Qui a vu quoi? Dans quel but? Qui savait? Qu'est-ce qui a été filmé et montré? Filmé et écarté ? Pourquoi? Comment? Quels étaient les opérateurs? Qui montait ces films? Qu'en disait la presse, l'opinion internationale? Ecrans, panneaux et ouvrages forment ici un triptyque rigoureux pour dire comment la Shoah fut présentée au monde – les Soviétiques étant les seuls à vouloir filmer le procès de Nuremberg, un procès qui motiva souvent le tournage des images de charniers, de fosses, de camps – images montées au point d'en faire de véritables films et pas seulement des séquences d'actualités, images capturées et sauvées par des cinéastes comme Roman Karmen, pendant que la France régalait son innocent public avec Ils étaient neuf célibataires de Guitry.
Quand les images sont insoutenables, il est plus que jamais urgent d'apprendre à en déchiffrer les complexes vibrations. Ce qui est filmé l'est pour certaines raisons. L'extermination des Juifs, gravée dans la chair brutale d'une guerre mondiale, fut amplement documentée par les Soviétiques qui n'étaient pourtant pas hermétique à l'antisémitisme. Mais contrairement aux Américains et aux Occidentaux, et quoi qu'on pense de leur génie de la propagande, leur traitement de ces images effroyables se révéla plus frontal, sans doute sur l'impulsion du vertovisme, et malgré le double discours de Molotov. Une salle est par ailleurs consacrée à la délicate question de la judéité des victimes, et à son traitement par l'image. Autant dire que cette exposition approche et affronte tous les points sensibles de l'holocauste.
Je résume. Il fait beau, les terrasses sont pleines, les vacances approchent, on vit apparemment dans un pays en paix. L'année a néanmoins commencé dans le sang. Raison de plus pour passer deux bonnes heures au Mémorial de la Shoah.
___________
Mémorial de la Shoah
17 rue Geoffroy l’Asnier
75004 Paris
Filmer la guerre - Les Soviétiques face à la Shoah (1941-1946) - Du vendredi 9 janvier 2015 au dimanche 27 septembre 2015
Renseignements
Tél. : +33 (0)1 42 77 44 72 (standard et serveur vocal)
Fax. : +33 (0)1 53 01 17 44
E-Mail : contact@memorialdelashoah.org
Site web : www.memorialdelashoah.org
Source: Memorial de la Shoah/Blog Twardgrace
http://towardgrace.blogspot.com/2015/06/les-sovietiques-face-la-shoah-une.html
(Rappelons que le Mémorial de la Shoah est un endroit exceptionnel, atypique. Né pendant la guerre dans la clandestinité afin d'établir un premier fonds d'archives, s'étant toujours tenu à bonne et prudente distance de l'Etat et des instances religieuses, au risque de faire de sa singularité une solitude, détenteur de documents sur le rôle du régime de Vichy dans l'extermination des Juifs qu'il ne pouvait dévoiler sans risque tant que la France ne reconnaissait pas publiquement sa responsabilité nationale et étatique dans le génocide, il est devenu un lieu plus qu'actif après la montée du révisionnisme et du négationnisme dans les années 90. Et l'exposition qui l'habite cette année est un événement.)
Intitulé "Filmer la guerre - Les Soviétiques face à la Shoah (1941-1946)" et se tenant depuis janvier jusqu'au dimanche 27 septembre 2015, ce parcours filmique et réflexif permet d'aller au-delà des images, fixes ou animées, qui nous permettent, dans le noir et le blanc d'une abomination censée lointaine, d'appréhender l'ampleur du génocide dans son quotidien. L'horreur a été filmée, par les bourreaux, mais aussi par ceux qui les ont vaincus. Et chacun eut, lors de cet acte "documentaire", des motivations politiques et historiques qu'il convient d'interroger. Les Soviétiques ont beaucoup filmé la grande guerre, et beaucoup filmé aussi les camps, qu'ils ont "libérés" – intervenant parfois au en pleine opération 1005 (opération nazie visant à effacer les traces de la solution finale). Ce qu'ils ont filmé, ils l'ont montré au monde, et très tôt. Au temps pour le fort peu cocasse "nous ne savions pas"…
Certaines séquences sont connues, d'autres moins, quelques-unes montrées au Mémorial sont inédites, et insoutenables, écartées des montages finaux mais sauvegardées dans diverses archives. Et c'est là tout le travail de Sumpf et de son équipe: trier, expliquer, commenter, mettre en perspective. Que voit-on de la Shoah? Qu'a-t-on montré? A qui? Quand? Qui a vu? Qui a vu quoi? Dans quel but? Qui savait? Qu'est-ce qui a été filmé et montré? Filmé et écarté ? Pourquoi? Comment? Quels étaient les opérateurs? Qui montait ces films? Qu'en disait la presse, l'opinion internationale? Ecrans, panneaux et ouvrages forment ici un triptyque rigoureux pour dire comment la Shoah fut présentée au monde – les Soviétiques étant les seuls à vouloir filmer le procès de Nuremberg, un procès qui motiva souvent le tournage des images de charniers, de fosses, de camps – images montées au point d'en faire de véritables films et pas seulement des séquences d'actualités, images capturées et sauvées par des cinéastes comme Roman Karmen, pendant que la France régalait son innocent public avec Ils étaient neuf célibataires de Guitry.
Quand les images sont insoutenables, il est plus que jamais urgent d'apprendre à en déchiffrer les complexes vibrations. Ce qui est filmé l'est pour certaines raisons. L'extermination des Juifs, gravée dans la chair brutale d'une guerre mondiale, fut amplement documentée par les Soviétiques qui n'étaient pourtant pas hermétique à l'antisémitisme. Mais contrairement aux Américains et aux Occidentaux, et quoi qu'on pense de leur génie de la propagande, leur traitement de ces images effroyables se révéla plus frontal, sans doute sur l'impulsion du vertovisme, et malgré le double discours de Molotov. Une salle est par ailleurs consacrée à la délicate question de la judéité des victimes, et à son traitement par l'image. Autant dire que cette exposition approche et affronte tous les points sensibles de l'holocauste.
Je résume. Il fait beau, les terrasses sont pleines, les vacances approchent, on vit apparemment dans un pays en paix. L'année a néanmoins commencé dans le sang. Raison de plus pour passer deux bonnes heures au Mémorial de la Shoah.
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Mémorial de la Shoah
17 rue Geoffroy l’Asnier
75004 Paris
Filmer la guerre - Les Soviétiques face à la Shoah (1941-1946) - Du vendredi 9 janvier 2015 au dimanche 27 septembre 2015
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Fax. : +33 (0)1 53 01 17 44
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